Japon et tatouage : Yakuzas, origine et fonctionnement

  
 

Tatoueuses, tatoueurs,

 

Nous l’avons vu dans un précédent article, l’irezumi est le tatouage japonais traditionnel qui connait une grande popularité à travers le monde. Pourtant au Japon, cet art a encore aujourd’hui mauvaise réputation. Cela est dû en partie aux liens entre mafia nippone et tatouage.

 

Une origine incertaine

Etymologiquement, le mot Yakuza n’est pas très flatteur. En effet, ce mot serait issu du jeu de carte Oicho-Kabu, comparable au baccara, plus connu en Occident. En résumé, le mot Yakuza serait une sorte d’argot japonais signifiant « perdant » ou « bon à rien ».

 

Historiquement, l’origine des Yakuzas est difficile à identifier. Une première hypothèse affirme que les Yakuzas sont les héritiers des Bakuto, joueurs professionnels contrôlant des sortes de casinos nippons illégaux entre le XVIIIème et le XXème siècle, ainsi que des Tekiya, sorte de vendeurs ambulants proposant des marchandises réputées pour leur qualité médiocre, qui se sont organisés et ont ajouté le racket à leurs activités. La seconde hypothèse affirme, quant à elle, qu’ils sont les héritiers des Machi-yako, signifiant « les serviteurs des villes ». Suite à la démilitarisation survenue en 1603, les samouraïs se retrouvent sans emploi. Certains décident de devenir des criminels, terrorisant les populations et vivant de pillages et de l’argent de la prostitution (les Kabuki-mono). Pour les contrer d’anciens samouraïs ont, eux, fait le choix de défendre et de protéger la population : ce sont les Machi-yako.

 

Bien que les Yakuzas affirment être les descendants des Machi-yako, leur comportement et leurs activités ont plutôt tendance à les rapprocher soit des Bakuto et des Tekiya, soit des Kabuki-mono. En effet, cette pègre pratique de manière illégale l’organisation de cercles de jeux, la vente de marchandises diverses mais surtout illégales comme la drogue ou les armes, le racket, ou encore le proxénétisme. Les Yakuzas ont également des activités légales, du moins en apparence, comme la restauration ou la construction immobilière. Cependant, même dans ces activités plus communes, il arrive que des actions clandestines favorisent les bénéfices, voire soient uniquement des façades pour des activités criminelles. S’ils offrent effectivement leur protection aux commerçants, c’est en échange de sommes d’argent ou d’avantages, et ceux qui ne cèdent pas au chantage subissent des pressions, des menaces, voire des agressions.

 

En revanche, il est à noter que les Yakuzas ont effectivement certaines actions bienfaitrices, notamment lorsqu’ils viennent en aide à la population à la suite de tremblements de terre ou d’autres catastrophes importantes, participant, à ces occasions, à donner une image positive de cette organisation. Il est cependant difficile de savoir si ces actions sont purement désintéressées, ou sont faites afin de bénéficier ultérieurement de la popularité ainsi gagnée. Il est donc possible de considérer que les Yakuzas ne sont les héritiers ni exclusivement des uns, ni exclusivement des autres, mais bien un mélange de ces divers groupes, auxquels ils ont emprunté les activités les plus symboliques, ainsi que certaines parties de leur code de conduite respectif.

 

Photo : Yakuza photographié par le belge Anton Kusters

 

La plus ancienne des mafias

C’est au XVIIIème siècle que les Yakuzas verront le jour, sous leur forme actuelle. Sous l’ère Meiji, ils joueront un grand rôle politique, en permettant aux partis nationalistes de prendre et de garder le pouvoir, face aux grèves et aux idées communistes. Suite à la défaite lors de la Seconde Guerre Mondiale, le rôle des Yakuzas s’intensifiera encore : ils sont utilisés par le gouvernement japonais pour lutter contre les mafias étrangères qui profitent de l’instabilité du pays et ils aident la population locale en fournissant diverses choses aux Japonais grâce au marché noir, seul moyen alors de se procurer certaines marchandises dans ce pays occupé. Enfin, ils sont également perçus par l’armée d’occupation comme une force pacificatrice. A leur apogée, les Yakuzas compteront 184.000 membres répartis en 126 clans.

 

Cette mafia japonaise a donc une place très particulière dans la société nippone. Elle y est totalement implantée. Elle ne vit pas parallèlement à la société, mais en symbiose avec elle. Les Yakuzas remplace bien souvent l’Etat, en s’occupant du ramassage des ordures, de la sécurité quotidienne, de régler les conflits, d’éduquer et prendre en charge les enfants indisciplinés à la demande de leur parent, etc. Si les Yakuzas sont craints, ils sont aussi très respectés. Il est de notoriété publique qu’ils suivent les traditions, tiennent leurs engagements, et sont très sévères avec la bienséance.

 

Aujourd’hui, les Yakuzas comptent environ 80.000 membres répartis en 22 organisations différentes. Leur nombre a fortement baissé à la suite de diverses lois antigang. Alors qu’auparavant cette mafia était une organisation transparente, elle est devenue bien plus clandestine. Elle est par ailleurs peu à peu supplantée par une nouvelle forme de criminalité, plus violente et ne respectant pas certaines limites respectées par les Yakuzas (pas de viols, pas d’atteinte sur les civils, etc).

 

Cette différence de traitement par les autorités étatiques a pour cause l’affaiblissement du rôle des Yakuzas et de leur utilité. La police japonaise étant aujourd’hui reconstituée, le rôle de protecteur de cette mafia n’est plus aussi fort. Surtout, suite à la mort de civils dans certains affrontements, à la mise au jour de différentes affaires de corruption, ainsi que la disparition de l’utilité du marché noir dans un Japon ayant recouvré une bonne santé économique, la population s’est détournée des Yakuzas, qui n’ont plus les faveurs de leurs concitoyens.

 

Yakuzas et irezumi, un monopole de fait… pour l’instant !

Les Yakuzas pratiquent massivement l’irezumi. Il y a plusieurs origines à cela. Tout d’abord, cela découle de l’utilisation du tatouage comme cover des encrages judiciaires par les Bakuto notamment. Aussi, l’image positive renvoyée par le Shuikôden et ses brigands tatoués et bienfaisants correspond à l’image que les Yakuzas veulent transmettre d’eux. Il a également été pratiqué par les samouraïs dont les Yakuzas revendiquent l’héritage. Enfin, la pratique du tatouage est une preuve de force et de courage, notamment en raison de la taille des pièces tatouées nécessitant de longues et douloureuses heures de travail.

 

Bien que le tatouage ne soit pas réservé aux criminels au Japon, l’interdit étatique et social attaché à cette pratique a pour conséquence que seuls les Yakuzas osent encrer leur peau. Etant déjà ancrés dans la criminalité, ils n’ont pas à craindre les conséquences d’une telle pratique. Pourtant, de plus en plus, la jeunesse nippone se réapproprie cet usage traditionnel, en combattant les stéréotypes et en changeant, petit à petit, les mentalités.

 

Benoît Le Dévédec

benoit.ledevedec@tatouage-partage.com