#1 - Le tatouage en 2018 : un état des lieux
#2 - Un grand coup dans la fourmilière donné par des tatoueurs berrichons
#3 - Des observations pour aller plus loin
#4 - Nos 5 propositions
À la fin des années 1980, la France comptait une centaine de tatoueurs à peine. Aujourd’hui, en 2018, les derniers chiffres font état de plus de 10 000 professionnels, exécutant au total quelques 15 000 tattoos par jour.
Le tatouage a changé : d’une activité marginale, underground, il est devenu un produit de consommation de masse. Aujourd’hui, selon une étude de l’Ifop publiée en 2017, 10 % des hommes français sont tatoués, contre 16 % des femmes.
Pourtant et malgré ce bouleversement, le constat est là : il n’existe toujours aucun statut officiel pour les tatoueurs professionnels de France.
La conséquence ? Aujourd’hui, n’importe qui peut devenir tatoueur. Pour cela, il suffit de se soumettre à une formation à l’hygiène de 21 heures – ni plus, ni moins.
Les dérives qui en découlent, nous les connaissons : chaque année, ces centaines de tatoueurs font exploser l’offre et cassent les prix en s’installant en appartement ou en studio privé, à l’abri des instances de régulation.
Travailler sans véritable statut, c’est mener une activité sans aucun prix référent et, ainsi, être obligé de faire face quotidiennement à une concurrence déloyale ; en effet, qui peut rivaliser avec des compétiteurs cassant les prix hors de toute proportion ? Travailler sans véritable statut, c’est aussi composer sans aucune reconnaissance des maladies professionnelles – pourtant légion dans la discipline entre douleurs aux doigts, aux cervicales, tendinites et, le plus répandu, le mal de dos – ni du conjoint collaborateur. Les partenaires travaillant aux côtés de leurs époux ou épouses, et ils sont nombreux, sont aujourd’hui privés d’une sécurité sociale.
Aujourd’hui, la colère gronde de plus en plus fort chez les tatoueurs professionnels qui tentent, vaille que vaille, de vivre honnêtement de leur passion. Nombreux sont celles et ceux qui appellent à un changement significatif. Pour que soit protégée leur activité à court, moyen et long termes.
Dans le Berry, des tatoueurs ont choisi de s’unir pour enrayer cette spirale et dresser un code de déontologie du tatouage. L’association Tatouage & Partage les a suivis. Son rapport et ses préconisations vous sont adressées dans ce dossier.
Rester les bras croisés en attendant que le gouvernement daigne se pencher sur la question du statut des professionnels du tatouage ? Très peu pour eux. À l’issue de la 4ème convention de Bourges le 24 juin 2018, un collectif de tatoueurs berrichons s’est réuni pour échanger, débattre, se fédérer et mettre au point les prémices d’un premier code de déontologie du tatouage. Tatouage & Partage y était et vous présente les axes discutés.
D’entrée de jeu, l’accent a été mis sur le devoir impératif d’une concertation sur les tarifs pratiqués en boutiques par les professionnels du tatouage. A été déplorée la fin des accords tacites qui, par le passé, définissaient un prix de base d’un tatouage ou prix "à la sortie d’aiguille".
Aujourd’hui dans le Berry, région couvrant le département du Cher et celui de l’Indre en région Centre-Val de Loire, certains tatoueurs s’autorisent de pratiquer le tarif effarant de 30 € par tatouage. Une hérésie totale lorsque la moyenne nationale atteint 80 €.
Selon son statut administratif, un tatoueur peut payer 20 % de TVA sur un tatouage. À cette taxation doivent s’ajouter des charges annexes (quand le tatoueur est déclaré…), le matériel utilisé, ou encore son local. Conclusion : il est décemment impossible d’isoler un salaire en pratiquant des tatouages à 30 €.
Parce qu’il est de plus en plus concurrentiel, le secteur du tatouage professionnel est aussi le théâtre d’un nombre croissant d’attaques ad hominem. Dans le Berry comme ailleurs, il n’est plus rare d’entendre un tatoueur ou une tatoueuse dire du mal d’un confrère ou d’une consœur. Ces paroles vont de la simple pique à la plus stricte diffamation.
Pour le collectif, ces atteintes entre professionnels reconnus et déclarés doivent cesser. Lorsqu’elles sont illégitimes, elles nuisent à notre corps de métier bien plus qu’elles ne le servent.
En France, c’est l’article L310-3 du Code de commerce qui définit les règles inhérentes aux soldes, aux périodes autorisées et aux marchandises concernées.
Mais dans le tatouage, c’est l’anarchie : on observe depuis plusieurs années la multiplication de Black Fridays ou de Flash Days, au cours desquels les prix sont écrasés hors de toute logique.
Pour ces tatoueurs berrichons, des accords précis doivent être définis pour une meilleure régulation de ces périodes de soldes.
Un autre constat a été dressé par les tatoueurs berrichons : nombreux sont ceux qui, dans la région, pratiquent le tatouage dans la clandestinité. Ces tatoueurs non-déclarés pénalisent à la fois leurs confrères déclarés et, de fait, soumis à d’importantes charges, mais aussi une clientèle exposée à plus de dangers.
Pour lutter contre ces braconniers du tattoo, le collectif de tatoueurs berrichons n’a pas vocation à pratiquer la délation, mais à privilégier l’émission d’avertissements. Si ces avertissements à l’amiable ne résultent pas en une déclaration de la part de l’intéressé, des solutions contraignantes seront envisagées : établissement d’un signalement à l’ARS, voire dépôt d’une plainte.
Ce premier rassemblement a été mené par deux figures emblématiques du tatouage à Bourges et sa périphérie : Bop John et Gomette. Le premier a participé, avec Allan de Marseille, à l’organisation de la première convention de tatouage de France en 1989. Aujourd’hui, il tatoue aux côtés de son fils et réalise des actions en milieu carcéral. Gomette, lui, est à l’origine de la convention de tatouage de Bourges, événement à caractère caritatif pour la lutte contre la mucoviscidose.
Citons, à leurs côtés et à ceux des tatoueurs berrichons présents, la venue en observateurs des tatoueurs Thomas Carli Jarlier et Stéphane Chaudesaigues, président de Tatouage & Partage.
Prévenus par bouche-à-oreille, certains tatoueurs de la région Centre-Val de Loire ont déjà commencé à adhérer au concept.
Qui dit manque de statut professionnel dit impossibilité d’organiser avec pérennité la transmission du savoir. À l’heure actuelle, il est impossible de recourir légalement à un apprenti, pour les simples et bonnes raisons qu’il est impossible de former quelqu’un à un métier qui n’existe pas.
La situation vous parait accessoire ? C’est vite oublier qu’un tatoueur à peine formé est actuellement capable, à son tour, de former un ou plusieurs apprentis médiocres, qui formeront eux-mêmes des apprentis tout aussi incompétents. Une perspective peu réjouissante pour l’avenir du métier…
Tatouer en studio privé – par opposition à un shop – est-il compatible avec la légalité ? La réponse est oui, entièrement. Quand certains renoncent à piquer en boutique donnant sur rue uniquement pour échapper aux contrôles de l’ARS, d’autres font le choix d’un studio privé tout en déclarant leur activité aux autorités.
C’est le cas, par exemple, de Thomas Carli Jarlier. Celui qui avait animé tout un séminaire au profit de Tatouage & Partage a aujourd’hui renoncé à sa boutique clermontoise au profit d’un espace privé.
Attention : les soirées tattoo dans les bars, les sessions éphémères dans les supermarchés, ou encore le déplacement d’un tatoueur chez un client demeurent, elles, des pratiques totalement interdites.
Le guest, ce tatoueur invité quelques jours ou plusieurs semaines dans un studio de tatouage, mérite aussi réflexion. Pourquoi ? Parce que dans de nombreux cas, le guest n’est pas déclaré alors que c’est une obligation légale. Dans ces cas-là, il constitue ni plus ni moins une véritable concurrence déloyale, qui doit être traitée comme telle.
Les scratcheurs et autres studios de tattoo peu regardants n’ont pas l’apanage du "cassage de prix" : ces situations ont aussi été massivement observées en convention. Là aussi, un vrai travail de fond doit être exécuté.
Une illustration ? Dans les événements floqués Ray Tattoos, les organisateurs défilent dans les stands pour s’assurer que le prix à la sortie d’aiguille est bien respecté…
Si l’association Tatouage & Partage prône, depuis sa fondation, la création d’un statut d’artisan d’art pour tous les tatoueurs de France, d’autres instances n’ont d’yeux que pour un statut d’artiste délivré à tous, sans exception. Mais le statut d’artiste est-il véritablement compatible avec les promotions qui, aujourd’hui, sont devenues monnaie courante dans le monde du tatouage ? Imagine-t-on vraiment un Rodin brader ses œuvres, ou un Picasso se soumettre au Black Friday ?
Notons également que le tatoueur s’attache, dans la grande majorité des situations, à pratiquer un tarif horaire. De fait, il se rapproche bien plus de l’artisan que de l’artiste.
Sans statut véritable, les seules personnes techniquement habilitées à pratiquer l’effraction cutanée en France sont les médecins, les infirmier(ère)s, et les esthéticien(ne)s. Si ce flou est encore toléré aujourd’hui, il le sera sans doute bien moins lorsqu’une urgence sanitaire ou un cas grave sera survenu… et que chaque tatoueur devra pouvoir justifier d’un CAP d’esthéticienne.
Terrible et absurde, cette situation n’est pas sans rappeler celle traversée par les tatoueurs japonais. En 2016, des tatoueurs d’Osaka et de Nagoya ont été incriminés pour avoir violé le Code de la médecine japonais, qui stipule que seuls les docteurs diplômés peuvent réaliser "des pratiques médicales"… comme le tatouage. Une situation extrême dont la France est loin d’être à l’abri.
Plus que jamais, Tatouage & Partage poursuit sa lutte pour que chaque professionnel du tatouage vive mieux sa profession en France, protégé des menaces qui pèsent sur lui. En partenariat avec le groupe de tatoueurs berrichons, notre association a issu 5 propositions fortes.
Est-il possible de fédérer les tatoueurs d’une même région pour établir, ensemble, des règles de bienséance quant à la pratique du tatouage ? Est-il possible de dresser un code de déontologie acceptée par le plus grand nombre ? Le Berry et ses tatoueurs semblent bien partis pour nous fournir une réponse à moyen terme.
Notre proposition : observer les actions de ces professionnels en qualité de laboratoire, et établir si elles peuvent être déployées à échelle nationale.
Vente à perte, dumping, prix d’éviction : ces expressions, pourtant bien connues des commerçants et prestataires, ne sont jamais corrélées au secteur du tatouage. Pourtant, même si elles ne sont pas nommées comme telles, ces pratiques existent ; lorsqu’un tatoueur offre un tattoo à 30 € pièce, il nuit gravement au reste de la profession.
Notre proposition : définir, grâce à un scrutin majoritaire et organisé par région, un prix à la sortie d’aiguille, c’est-à-dire un prix minimum pour la réalisation d’un tattoo.
Comment montrer, en tant que professionnel, que l’on adhère à ce code ? Que l’on a solennellement choisi de ne pas pratiquer de prix cassés ni de dénigrer ses confrères et consœurs ?
Notre proposition : créer un label à imprimer et à afficher dans son studio, ou à intégrer simplement à son site internet ou à sa page Facebook.
L’établissement d’un code, de règles, de prix requiert une communication entre tatoueurs d’une même région. Mais comment s’y prendre ?
Notre proposition : sélectionner un agenda en ligne (WhatsApp, groupe Facebook…) pour permettre aux tatoueurs d’une même région de communiquer les uns avec les autres et de pouvoir participer aux réunions collectives.
Les détracteurs de Tatouage & Partage ont signé quantité de fausses informations et contre-vérités au sujet de notre projet d’école de tatouage. Leurs principaux arguments ? Primo : il s’agirait d’un plan mercantile. Secundo : il verrait un nombre exponentiel de tatoueurs arriver chaque année sur le marché.
Soyons très clairs : aucun de ces arguments n’est vrai. Un plan mercantile ? Non : c’est l’État qui financerait cette formation, en vertu du principe de gratuité de l'enseignement posé dès la fin du 19ème siècle. Ce n’est pas qu’un doux rêve : Tatouage & Partage a d’ores-et-déjà enclenché des leviers dans ce sens.
En outre, une école de tatouage diplômante est justement le moyen le plus logique et le plus juste de juguler le flot continu de tatoueurs entrant chaque année sur le marché du travail. Au vu des risques sanitaires inhérents à la profession et à l’exigence croissante des clients, ces derniers ne méritent-ils pas d’avoir affaire à un prestataire dont le savoir-faire a été reconnu par l’État, plutôt qu’à un tatoueur à peine sorti d’une formation de 21 heures ?
Vous tatouez en France et souhaitez d’ores-et-déjà vous rapprocher de l’initiative ou poser vos questions ? Vous pouvez dès à présent contacter par e-mail :