Tatoueuses,
Tatoueurs,
Quotidiennement, vous réalisez un ou plusieurs tatouages, et ce sans aucune difficulté juridique. Pourtant, et comme nous l’avions évoqué dans l’article sur Taiki Massuda en comparant la situation française à celle du Japon, la profession de tatoueur n’existe pas à proprement parler. Pire, une lecture restrictive des textes légaux pourrait aboutir à la criminalisation de cette pratique.
Des obligations légales très sommaires
Les articles R1311-1 et suivants du Code de la santé publique imposent « aux personnes qui mettent en œuvre les techniques de tatouage par effraction cutanée, y compris la technique du maquillage permanent, et du perçage corporel », en d’autres termes aux tatoueurs et perceurs, de se déclarer à l’Agence Régionale de Santé (ARS) territorialement compétente et de suivre une formation aux conditions d’hygiène et de salubrité.
Juridiquement, il n’y a aucune autre obligation légale. Il en découle que n’importe qui peut, en respectant ses deux conditions, se lancer dans la pratique du tatouage, peu important qu’il/elle ait suivi une formation pratique ou ait le moindre talent (ce qui pose la question d’une formation obligatoire ou non, sous une forme ou sous une autre, préalablement à l’installation d’un nouveau tatoueur).
Une tolérance légale très fragile
Le contrepied principal de cette facilité d’installation est le manque de reconnaissance de la profession de tatoueur. Le public lisant ces lignes le sait, notamment quand il fait ses déclarations fiscales, le métier de tatoueur n’existe pas, laissant les professionnels dans une précarité inacceptable : non reconnaissance des maladies professionnelles, non prise en compte de la situation du conjoint participant à l’activité, flou fiscal et statutaire (quelle forme juridique adopter notamment), etc.
Mais au-delà de ces difficultés liées à la question de la gestion de leur activité, les tatoueurs français peuvent légitimement s’inquiéter de l’autorisation ou de l’interdiction de la pratique du tatouage.
En effet, le tatouage peut être vu comme étant une violence volontaire du tatoueur sur la personne de son client : les aiguilles, du fait de l'effraction cutanée, blessent (très légèrement) la peau, les allers-retours sont douloureux, le client saigne et la blessure et telle qu’il doit cicatriser pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines.
Juridiquement, il est interdit de commettre des actes de violence sur autrui, même avec son accord. Il existe plusieurs exceptions à cela, comme le sport ou la médecine par exemple. Cependant, pour qu’un acte médical sorte du champ des violences volontaires, il faut l’accord du patient, mais aussi que l’acte soit nécessaire à sa bonne santé. Vous en conviendrez, le tatouage n’entre que rarement dans cette catégorie, et surtout, le tatoueur n’est pas un médecin.
Ainsi, si le Code de la santé publique impose quelques règles pour les tatoueurs, il ne leur reconnait aucun statut et ne dit jamais que la pratique du tatouage est autorisée. Les professeurs Bernard Bouloc et Haritini Matsopoulou, spécialistes du droit pénal, écrivent d’ailleurs dans un ouvrage que les atteintes bénignes à l’intégrité corporelle comme le tatouage bénéficient d’une tolérance des autorités.
Le problème est justement là. Il ne s’agit que d’une tolérance. Il en découle qu’un changement de lecture des textes pourrait aboutir à ce que des tatoueurs soient poursuivis pour violences volontaires sur leurs clients, peu important qu’ils aient donné leur accord, mettant en danger des milliers de professionnels. C’est exactement ce qui est arrivé au Japon, quand les autorités ont choisi d’interpréter de manière différente une loi votée en 2001 pour pouvoir chasser les tatoueurs. Si au Japon seuls les médecins peuvent légalement tatouer selon cette loi, en France, mêmes les médecins n’y seraient pas autorisés, car comme cela a été vu plus haut, le tatouage n’est pas un acte nécessaire à la bonne santé du patient/client (idem pour les esthéticiens diplômés).
Malgré ce qui vient d’être dit, il apparait possible de penser d’une part que les autorités ne s’amuseront pas à faire une chasse aux sorcières contre les tatoueurs, l’historique français n’étant pas comparable à celui de l’archipel nippon. D’autre part, il pourrait être considéré que le tatouage est devenu au fil des siècles une sorte d’usage légitimant l’exercice du métier de tatoueur, tout comme le sport. Cependant, il parait plus sérieux d’affirmer que si le Code de la santé publique impose des conditions pour tatouer, c’est qu’il autorise implicitement l’exercice du métier de tatoueur. Mais cette interprétation reste très fragile et délicate à défendre, la reconnaissance légale du métier de tatoueur étant la meilleure protection des professionnels de l’aiguille.
Benoît Le Dévédec