Le président de l’association Tatouage & Partage Stéphane Chaudesaigues s’exprime sur la récente actualité du tattoo, entre statut du tatoueur et de l’apprenti, artistes et artisans.
Rarement – pour ne pas dire jamais – la question du statut du tatoueur et, avec elle, celle de sa formation, avait autant déchainé les passions. Depuis les déclarations de la Ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur Najat Vallaud-Belkacem sur un potentiel CAP tatouage, vous avez été nombreuses et nombreux à réagir, à échanger et à nous faire part de vos arguments. Sur la page Facebook de Tatouage & Partage, sur celle du SNAT et, à n’en point douter, entre vous autour d’un verre, d’un repas ou entre deux tattoos. De cet engouement et de cette implication, je me réjouis car ils permettent à notre cause d’avancer.
À ce titre et pour continuer d’aborder le débat du statut du tatoueur, de sa formation et d’un potentiel diplôme avec sérénité et de manière constructive, je me suis penché sur le dernier communiqué du SNAT, consultable en accès libre. Je suis heureux que nos deux organisations fassent montre de points de convergence et que nous parvenions aux mêmes conclusions concernant l’apprentissage et les difficultés liées au manque de statut. Si nous n’apportons pas les mêmes solutions, je cultive néanmoins l’espoir que nous puissions envisager de travailler ensemble afin d’offrir une fin heureuse à ce dossier.
Dans cette dynamique, voici mes conclusions suite au dernier communiqué du SNAT et par rapport aux nombreux commentaires lus et reçus ces derniers jours.
Actuellement, la seule et unique condition pour devenir tatoueur déclaré est une formation à l’hygiène de 21 heures. Pour l’obtenir, c’est simple : il suffit de payer. En effet, aucune validation des acquis n’est demandée au terme de la session – rien d’étonnant, donc, au fait que le nombre de tatoueurs ait explosé ces 5 dernières années. Nous n’avons donc pas à attendre la création d’un diplôme pour voir ce chiffre augmenter fortement, puisque cette situation arrive déjà. Moins de 500 € pour devenir tatoueur, c’est plus que raisonnable.
En parlant d’apprentissage, j’ai lu et entendu que la seule solution pour avoir un apprenti serait un contrat de travail type CDI, CDD ou intérim. Offrir une rémunération à l’apprenti dans le cadre de son apprentissage avec les charges adaptées : je suis pour – il faut bien que l’apprenti puisse se loger, se nourrir et assurer ses loisirs. Mais je trouve hors de propos l’idée d’un CDI ou d’un CDD. Les implications légales et financières de ces types de contrats sont extrêmement lourdes : se retrouver enchainé à un apprenti avec un CDI et devoir payer les charges qui vont de pair est absolument irréaliste car bien trop coûteux.
Pour certains, la formation pour devenir tatoueur doit être libre et gratuite. Mais gratuite pour qui ? Sans garantie aucune mais avec les charges qui lui incombent, le patron doit donc payer (au prix fort) pour enseigner. À savoir que la grande majorité des tatoueurs sont déclarés en autoentrepreneurs (ou microentrepreneurs) et que, de fait, il leur est donc impossible de prendre un salarié puisque c’est un état de travail individuel.
Pour les autres, ceux qui sont en SASU, SARL ou autres, l’idée est là aussi irréalisable. Partons, pour le prouver, sur une base d’étude de la durée "normale" d’un apprentissage en boutique qui est de 3 ans en moyenne. Partons donc sur un CDD de 3 ans. Le SMIC mensuel de 35 heures brut s’élève à 1 467 €, pour un salaire net de 1 128 €. Les charges patronales après abattement et intégrant une mutuelle obligatoire s’élèvent à 13 %, soit 195 €. On peut escompter une déduction du CICE dans le meilleur des cas de 88 €. On arrive donc à un SMIC mensuel chargé qui coûterait 1 574 € mensuels à l’entreprise. Multipliez ce nombre par 36 mois : on arrive donc à 56 664 € pour avoir un "apprenti". Si votre expert-comptable valide le fait que vous embauchiez un salarié qui ne rapporte rien à votre entreprise, c’est qu’il est temps de changer d’expert-comptable…
En outre, engager un apprenti en bonne et due forme n’est possible qu’en partant du postulat que le métier de tatoueur existe… ce qui, pour rappel, n’est toujours pas le cas à l’heure actuelle. Parce que même en justifiant la présence d’une tierce personne dans le shop en cas de contrôle, vous ne pourrez le présenter comme un apprenti. La raison, c’est celle-ci : on ne peut légalement apprendre une profession qui n’existe pas et qui n’a aucun référentiel.
L’article 98 A de l’annexe 3 du Code général des impôts s’arrête sur la définition des œuvres d’art. Que deviennent ceux qui ne rentrent pas dans les secteurs évoqués ? Pour rappel, l’article stipule qu’une œuvre d’art ne peut être un dessin commercial ni faite à partir d’un procédé mécanique, excluant de fait le dermographe et la rotative. Dès lors, qu’adviendrait-il des nombreux tatoueurs qui vivent de la réalisation d’attrapes-rêves ou de signes de l’infini si le statut d’artiste devait être obtenu pour tous les tatoueurs ? Croyez-vous vraiment que Bercy, parfaitement conscient du nombre extrêmement important de lettrages et autres tattoos ne répondant pas à la définition d’une œuvre d’art, voudra abandonner TVA et RSI au profit de ces tatoueurs ? La réponse est non, bien évidemment – c’est une utopie. Tout au contraire, je suis pour négocier une fiscalité et, pourquoi pas, un taux de TVA réduit pour les pièces uniques dans la cadre de l’artisanat d’art.
Dans ce contexte, le statut d’artisan d’art est reconnu pour toutes les créations faites tant dans la mode que dans la joaillerie, mais aussi dans les vitraux par exemple. Il constituerait une véritable valorisation de notre technique et de notre savoir-faire que de pouvoir être assimilé à ces prestigieux artisans. Cela permettrait de pouvoir transmettre le savoir de maître à élève avec un vrai cadre de protection tant pour l’élève que le maître. Je vous invite à lire vous-même la définition proposée sur le site officiel de l’Institut National des Métiers d’Art :
Les professionnels des métiers d’art sont d’abord des hommes et des femmes de passion. Ils façonnent, restaurent, imaginent des pièces d’exception à la croisée du beau et de l’utile. […] Un métier d’art peut être défini par l’association de trois critères :
- il met en œuvre des savoir-faire complexes pour transformer la matière
- il produit des objets uniques ou des petites séries qui présentent un caractère artistique
- le professionnel maîtrise ce métier dans sa globalité
Autre question lue à quelques reprises ces jours-ci sur les réseaux sociaux : existe-t-il des artisans peintres, par exemple, ailleurs que dans le bâtiment ? La réponse est oui : les artisans d’art en sont tels que les peintres sur verre ou sur porcelaine par exemple. Ils travaillent sur commande mais ont une production créative impressionnante. J’estime qu’il faut donc garder les pieds sur terre et ne pas confondre artisans simples comme les plombiers et artisans d’art, dont nous espérons pouvoir faire partie.
J’aimerais aussi revenir sur les écoles de tatouage en m’appuyant sur un constat. Ceux qui ont abordé et travaillé sur le CQP (certificat de qualification professionnelle) sont les mêmes que ceux qui ont avancé l’idée d’un CAP (certificat d’aptitude professionnelle). L’idée du CPQ avait été abandonnée : en revanche, elle avait bien été reprise par l’Ecole Française de tatouage (EFT), qui avait mis en place ce CQP et organisé des formations à tour de bras. Cette démarche, au lieu d’être pédagogique, est profondément commerciale. Aujourd’hui, c’est ce même organisme qui siège aux côtés du SNAT aux réunions de l’Association française de normalisation (AFNOR) pour travailler sur une normalisation du métier de tatoueur. J’estime cette situation au mieux paradoxale, au pire intolérable.
Dans son argumentaire, le SNAT réalise un parallèle avec le Japon et avec les maîtres tatoueurs japonais. Je trouve que c’est une bonne idée, le Japon équivalant à une terre sainte pour le tatouage. Je suis cependant en profond désaccord avec la manière dont est articulée la comparaison. Horiyoshi, par exemple, se considère non comme un artiste mais comme un artisan.
Selon lui, le tatouage nippon et son apprentissage sont régis par des règles très strictes, bien loin de cette pseudo liberté artistique que nous leur attribuons. N’oublions pas qu’au japon, il est quasiment interdit d’arborer des tatouages et que bon nombre d’endroits sont interdits aux personnes tatouées. Le gouvernement japonais est même en train d’essayer de légiférer sur une interdiction de tatouer, sauf pour les personnes ayant un diplôme de médecine.
On nous parle des chaînes certifiées de shop de tattoos qui arriveraient sur le marché à cause d’un diplôme. La vérité, c’est celle-ci : les chaines existent déjà et répondent à une demande puisqu’elles existent depuis de nombreuses années. Que fait-on des nombreux clients en demande de pièces de faible proportion si l’on « interdit » le tatouage dit flash parce que ce n’est pas assez artistique ?
Autre argument lu et entendu récemment : le tatouage serait un art ancestral qui doit "rester un art et rien d’autre". Ici, je tiens à dénoncer un raccourci malheureusement trop répandu. Le tatouage tribal, à l’origine – car ce sont là les origines du tattoo tel que nous le connaissons aujourd’hui – était utilisé par exemple par les Maoris pour marquer les rangs sociaux des uns et des autres. En d’autres termes, ces marques n’étaient au début que des signes d’appartenance à des groupes tribaux ou religieux, voire même parfois des marques "magiques" pour protéger ceux qui les portaient. On est bien loin de ce qu’on peut appeler de l’art, d’autant que le processus créatif était quasiment nul. En effet, ces dessins étaient établis par tradition et étaient donc les mêmes d’une génération à l’autre.
Des siècles plus tard, des figures tutélaires telles que Sailor Jerry ou Ed Hardy ont émergé et se retrouvent aujourd’hui placardées sur des assiettes, des mugs et autres bouteilles de spiritueux, pareils à des Che Guevara de l’encrage. Mais la vérité, c’est qu’eux aussi ne dessinaient et ne tatouaient que des flashs ! J’appelle donc à une utilisation sensée de la riche histoire qu’est celle du tatouage pour mieux appréhender ce qu’est l’art… et ce qu’il n’est pas.
Ma conclusion, c’est celle-ci : il est peut-être temps de prendre conscience que tous les tatoueurs ne sont pas des artistes et qu’il n’y a rien de dévalorisant – bien au contraire – à être "simplement" un tatoueur. Je ne suis pas contre l’obtention d’un statut d’artiste pour certains tatoueurs : je suis contre l’obtention d’un statut d’artiste pour tous les tatoueurs. Pour moi, la solution reste l’artisanat d’art dans lequel toute la profession peut se retrouver sous une même bannière qui permettrait à tous de s’exprimer soit de façon classique, soit de façon plus créative. Dès l’obtention d’un statut, nous essaierons de négocier une fiscalité adaptée aux deux types d’activité afin de pouvoir amorcer au mieux ce départ dans notre profession enfin reconnue comme dépendant des métiers d’art.
Stéphane Chaudesaigues
Président de Tatouage & Partage